Lorsque nous observons notre société, que voyons nous ?
Alors que notre monde évolue d’une société industrielle et de services à une société de l’information, nos lieux et nos méthodes de travail ainsi que nos processus de production connaissent des modifications constantes et profondes.
Le salariat tel que connu depuis 3 siècles au sein des organisations se dilapide, une démographie grandissante à laquelle le plein emploi ne peut plus répondre d'autant que l'automatisation et la robotisation s'amplifie et évince l'homme de la production, un chomage qui augmente et pour lequel l'entrepreneuriat semble une apparente solution.
Tout se métamorphose sous nos yeux tel un tsunami auquel il nous faudrait répondre rapidement. Mais le pouvons nous réellement sans se poser certaines questions préalables.
Quels sont ces changements radicaux qui nous impactent ?
Depuis les années 80, de multiples facteurs remettent en cause le contenu même du salariat en changeant les méthodes de travail et les processus de production. Le monde s'est ouvert avec le cyberespace permettant l'accès à tous à l'information. Les révolutions technologiques, la robotisation, l'automatisation diminuent la nécessité de l'Homme au sein de cette production, les exigences de compétitivité face à l'émergence de nouveaux pays sur le marché … sans compter tous les risques écologiques et la paupérisation qui s'installe.
En parallèle, les prises de conscience voient le jour. De nouveaux modes de consommation et la revendication à une certaine autonomie et qualité de vie sont de plus en plus importants. Or ceci nourrit la crise de l'emploi car ces aspirations sont contradictoires avec le système « salarial ». Le contrôle imposé par le modèle industriel ne peut plus se justifier à partir du moment ou il ne peut plus assurer une sécurité de l'emploi parce qu'il n'en a plus besoin.
Les transformations actuelles sont de plusieurs registres
Organisation
Du point de vue des entreprises, celles-ci ont de moins en moins besoin de compétences sur un temps indeterminé. Elles vont opter pour la « consommation » de compétences sur des temps plus ou moins longs en fonction de la durée de vie d'un produit ou d'un service.
Sites de production : Les grosses structures mutualisent déjà des sites de production, la tendance risque fort d'être de plus en plus importante puisqu'elles sont aussi de plus en plus automatisées ou robotisées.
Se pose la première question : sur ces sites, les employés vont ils être « des permanents » du site, ou bien, chaque société aura-t-elle ses propres « employés » sur la durée de la production. Ce qui dans le premier cas, permet à un certain nombre de personnes de continuer la forme « salariale classique », tout en imposant de fortes contraintes de polyvalence (nous y reviendrons dans un autre article). Dans le second cas, il y aura alternance entre période de travail et période de chomage. Ces modéles et questions sont déjà d'actualités pour certaines grosses entreprises (laboratoires pharmaceutiques, industries agroalimentaires …)
Les fonctions intellectuelles pourront être présentes que pour la durée du projet ayant à minima 3 phases : la recherche et le dévelopement, l'industrialisation ou production, la commercialisation. Lorsque l'on sait qu'aujourd'hui un produit a une durée de vie de 1 à 3 ans... ça laisse à réfléchir. Bien sur à chacun d'imaginer toutes les fonctions transverses et annexes à cette chaine de valeur qui, elles aussi, pourront être à durée limitée.
Le nomadisme (par le télétravail) car de plus en plus de tâches peuvent être réalisées à distance avec un ordinateur et un téléphone portable et de plus en plus d'entreprises commencent à mettre des accords en place pour que ce genre d'organisation puisse se réaliser.
Nous pouvons déjà le constater puisque les grosses entreprises réduisent considérablement le nombre d'employés. Il est presque permis de dire qu'il ne restera bientôt plus que des conseils d'administration et le reste sera réalisé à flux tendu pour ce qui est de la production. Nous n'en sommes pas très loin pour une grande majorité de multinationnales.
Quelques chiffres :
Sur environ 41 millions de personnes en age de travailler, il n'y a que 25,8 millions ayant un "travail" dont 3 millions de non-salariés. Sur les 22,8 millions restant, il n'y a que 15 millions qui ont un contrat en CDI soit 36,6% à plein temps de la population en age de travailler. Et ça risque de se réduire de plus en plus avec les "humanoides" qui arrivent !
La résultante de cette transformation
Pour mieux cerner la situation globale, voici quelques perspectives des évolutions de l'emploi. [1].[2] (elles sont déjà là, coexistant les unes avec les autres, creusant de plus en plus le clivage de la macro économie/ micro économie - Europe/ Territoires locaux- Organisations Pyramidales/ Organisation réseau/ Open source ..).
La mutation de notre civilisation est déjà en marche. Certains sont pionniers de nouveaux comportements, d'autres sont réticents aux changements et font tout pour conserver leur place, participant à la destruction massive des ressources.
Disparition du « socle » des Trente Glorieuses et émiettement des formes d’emploi :
Le socle d’emploi des Trente Glorieuses (CDI - temps plein – employeur unique) s’effrite de manière accélérée, dans un contexte de faible régulation. Le temps partiel devient la norme, combiné avec le cumul de contrats avec plusieurs employeurs. Le CDI devient un contrat parmi d’autres et la proportion de salariés en CDI diminue fortement.
Dans ce contexte d’atomisation des formes d’emploi, les relations triangulaires (employeurs/employés/clients-employeurs) telles que l’intérim, les groupements d’employeurs et sociétés de portage se développent pour organiser une régulation du marché du travail et mettre en relation prestataires et clients potentiels.
D’autre part, des entreprises externalisent certaines de leur activités, sous la forme de sous-traitance. La relation contractuelle est fondée sur le droit commercial et non plus sur le droit du travail. Dans ce contexte, il y a aussi une incitation forte à ce que chacun crée son activité de service, sur le modèle de l’artisanat, sous certaines conditions pour que cela fonctionne vraiment.
A partir des études faites par l'Agence Nationale des Conditions de Travail et des constats rencontrés en permanence dans notre profession, voici quelques scénarios pour les 10 prochaines années dans le monde du travail.
Scénario 1 : Play Time
Judiciarisation des rapports. Les contrats de travail évoluent vers des formes de relations commerciales entre le client (l'entreprise) et l'apporteur de compétences (fournisseur, ancien salarié)
Des entreprises à la peine face à la concurrence internationale et qui courent derrière la réduction des coûts. > Impact sur les conditions de travail (instabilité et précarité)
Accroissement de la compétition entre des individus ou des équipes constamment challengées.
Scénario 2 : Mad Max
En réponse à la concurrence économique internationale exacerbée, les entreprises cherchent la solution dans une recherche effrénée de productivité. Les pouvoirs publics mettent en œuvre une politique de soutien aux entreprises leaders. .
Le système de régulation sociale est en panne et l’emploi se répartit entre les « intégrés » et les « exclus ». La question de l’emploi prend le pas sur la question des conditions de travail. Pour préserver un système de couverture sociale minimum, un consensus social se met progressivement en place : le travail est un devoir vis-à-vis de la société (via les entreprises leaders soutenues). Les pouvoirs publics mettent aussi en place un revenu minimum d’existence.
Scénario 3 : Le meilleur des mondes
Le bonheur est orchestré, les individus abandonnent toute forme d’accomplissement individuel au profit d’une « sécurité sociale » accrue.
Le retour du "tout Etat" et des normes. Après une crise sociale d’envergure, c’est le retour du tout Etat, qui affirme le droit à un travail décent pour tous et impose un modèle socio-économique. On assiste à une standardisation des modèles de gestion, un contrôle accru et des pénalités conséquentes en cas de non respect des règles.
Dans ce livre ce qui nous intéresse particulièrement sont les 2 scénarios suivants, au regard de toutes les prises de consciences qui se font aujourd'hui. Ils rejoignent les aspirations des "Tribus" telles que les Créatifs culturels, les WWOOFERS, Les Transitionners, Les "Slowers", les Free-lifers ..... :
Scénarios 4 : La Tribu - L'approche Organique
Produire et vivre hors travail.
Le sentiment d’utilité sociale se développe « hors travail » et la débrouille occupe une place de plus en plus importante : mutualisation de service (vélib, blablacar…), marché de l’occasion (Leboncoin,...), les entraides (mon p'tit voisinage ..) Les formes d’auto entrepreneuriat et de micro entreprise se développent aussi.
Le recentrage se fait sur la qualité de vie, la solidarité. L'emploi (contrat juridique) n'est plus la réponse et fait place à l'expression de ses talents, ses motivations, ses envies, sa contribution à la société avec "Qui l'on est, Ce que l'on sait" (Bird in Hand) ce qui procure à la fois du plaisir tout en apportant sa contribution à la société qui nous entoure.
Face à ce phénomène les entreprises réagissent différemment.
Certaines ne changent rien et comptent sur le socle de ceux qui travaillent par absolue nécessité. Elles s’appuient sur des organisations fragmentées et à faible expertise.
Les tensions dans l’univers du travail sont fortes et les individus aspirent à se recentrer sur leur vie privée. La désindustrialisation et le développement de l’emploi « en miette » accentuent le phénomène. Le prix à payer pour l’emploi devenant trop élevé au yeux des individus augmente le nombre de personnes qui décrochent volontairement de l’emploi tel que proposé actuellement.
Scénario 5 : Abyss - L'approche Holistique - L'intelligence collective
Responsabilité sociétale, l’engagement de tous sur le territoire.
Une rupture forte s’est produite, résultant d’un double phénomène : le dysfonctionnement de la sphère travail (conflits violents liés à la précarité de l’emploi et à la dégradation des conditions, de travail) et le souhait de réinvestir sa vie personnelle.
La prise de conscience se conjugue à des tendances plus positives telles que la consommation éthique et responsable, le développement des modes collaboratifs en réseau ou le développement de modes de management plus participatifs. Nous voyons émerger l'économie circulaire, l'économie collaborative, l'économie de réseau, la consommation raisonnée, les organisations participatives, une approche locale, l'entreprise apprenante, les nouvelles formes d’entrepreneuriat solidaire prennent de l’ampleur (SCOOP, SCIC, SEM, les systèmes de productions locales - les GIE et autres regroupements …).L'innovation de rupture, le cyberespace, est devenue un outil central et complémentaire aux nouvelles organisations, de nouveaux modes de gouvernances s'instaurent (voir la sociocratie[3], l'holocratie[4])
L’approche locale et des dynamiques territoriales deviennent prépondérantes. Les notions de responsabilité des entreprises en matière d’environnement, de responsabilité sociale, de sécurisation des parcours commencent à s’imposer. Néanmoins l’émergence d'un principe de « devoir de travail » n’est pas sans créer de polémique…
Qu'en pensez vous ? Ces 5 scénarios ne sont ils pas déjà visibles actuellement ?
[1]http://www.queltravaildans20ans.com/wp-content/uploads/2011/02/V11-Formes-d-emploi-et-contrat-de-travail-D10.pdf
[2] http://www.anact.fr/web/actualite/essentiel?p_thingIdToShow=16585561
[3] La sociocratie est un mode de prise de décision et de gouvernance qui permet à une organisation, quelle que soit sa taille — d'une famille à un pays —, de se comporter comme un organisme vivant, de s'auto-organiser. Son fondement moderne est issu des théories systémiques. L'objectif premier est de développer la co-responsabilisation des acteurs et de mettre le pouvoir de l'intelligence collective au service du succès de l'organisation.(http://fr.wikipedia.org/wiki/Sociocratie)
[4] L'holacratie est un système organisationnel de gouvernance qui permet à une organisation de disséminer les mécanismes de prise de décision au travers d'une organisation fractale d'équipes auto-organisées.( http://fr.wikipedia.org/wiki/Holacratie)